L'INTELLECTUEL

LE BLOG QUI CRITIQUE

Films, Plateforme, Réseaux Sociaux , Télévision et Société

Megalopolis de Coppola : L'appel du Cinema à la Transformation du Réel

J’ai décidé d’aller voir Mégalopolis, le dernier opus de Francis Ford Coppola, pour deux raisons principales. La première est que lorsqu’on est cinéaste, on se doit de voir tous les films de Coppola. Il est, après tout, le pionnier d’une génération marquée par la révolution du "Nouvel Hollywood", un mouvement brillamment exploré dans le livre de Peter Biskind, Easy Riders, Raging Bulls. Coppola, avec Le Parrain, a posé les bases du blockbuster moderne : des œuvres marquées par la singularité d’un réalisateur, capables de générer des sommes astronomiques tout en affirmant une vision artistique forte. Ce sillon a ensuite été creusé par des figures comme Spielberg et George Lucas.

Avec Apocalypse Now, Coppola atteignait le sommet de cette époque où les réalisateurs régnaient en maîtres. Ce tournage légendaire, où la production elle-même rivalisait en chaos et en intensité avec l’histoire racontée à l’écran, symbolise cet âge d’or du "cinéma du réalisateur". Ainsi, chaque nouveau projet de Coppola est une invitation à revivre cette magie.

La deuxième raison de ma curiosité pour Mégalopolis tient à la présence de Giancarlo Esposito, acteur emblématique des débuts de Spike Lee (School Daze, Do The Right Thing, Mo Better Blues), qui interprète ici Franklyn Cicero, le maire ultraconservateur de la ville de New Rome, une métaphore de New-York.

Mégalopolis, une œuvre de science-fiction ambitieuse, raconte le conflit entre deux figures clés : le maire Cicero et un architecte visionnaire doté du pouvoir d’arrêter le temps. Le décor, New Rome, est une ville en pleine décadence. Cicero incarne la défense d’un statu quo ancré dans les privilèges, la cupidité et les milices privées, tandis que l’architecte rêve d’un futur utopique. Entre eux, Julia Cicero, fille du maire et jet-setteuse, se débat avec ses propres idéaux. Son amour pour César Catilina, défenseur de cette utopie, l’oblige à choisir entre les deux hommes et, par extension, entre deux visions de l’avenir de l’humanité.

J’ai abordé le film sans m’attarder sur son long processus de gestation, qui remonte aux années 1980. Mon intention était de m’imprégner pleinement de ce que Coppola avait à offrir aujourd’hui. Pourtant, Mégalopolis m’a laissé froid et distant. Malgré ses nombreuses références aux époques et aux genres du théâtre au cirque en passant par la littérature et le cinéma bien sur, le film semble paradoxalement dépourvu de chaleur. La représentation d’une bourgeoisie occidentale décadente, bien qu’intellectuellement compréhensible, ne m’a pas interpellé. J’aurais préféré voir cette utopie confrontée à un milieu plus modeste, plus enraciné dans les réalités actuelles.

La critique de Coppola sur le vide existentiel de cette élite riche — une aspiration partagée par beaucoup aujourd’hui — m’est apparue comme une matière faible pour le cinéma. Plus encore, le film souffre d’une surenchère visuelle et narrative. Là où l’on s’attendait à une œuvre épurée et introspective, Coppola semble vouloir prouver quelque chose, à la manière d’un jeune réalisateur cherchant à impressionner. Cette approche contraste avec la force brute et archétypale de ses précédents chefs-d'œuvre comme Le Parrain ou Apocalypse Now.

Giancarlo Esposito avait le potentiel de devenir le Don Corleone ou le Walter Kurtz de cette nouvelle fresque. Mais l’excès d’éléments perturbateurs — esthétiques, narratifs, technologiques — a entravé l’expérience d’un spectateur cherchant à renouer avec la grandeur du "nouveau Coppola".

Cependant, je tiens à saluer une ambition fondamentale de Coppola dans Mégalopolis : celle d’utiliser le cinéma pour transformer le monde réel. Une scène, en particulier, m’a marqué : celle où une patte de chien est remplacée par une prothèse virtuelle, le "mégalon". Cette idée interroge : comment le virtuel peut-il devenir une béquille pour le réel ? Coppola pose ici une question essentielle sur les liens entre progrès technologique et humanité.

GLADIATOR 2, De Macrinus à Yaoundé

Je suis allé voir Gladiator 2 , à cause bien sûr de Denzel Washington, même si je ne comprenais pas tout ce buzz autour de son rôle de méchant. Quelle gloire y a-t-il à jouer un méchant? Surtout quand on a incarné, comme Sidney Poitier avant lui, une figure noire inspirante, un modèle qui a fait rêver les noirs... notamment les femmes ? Pourquoi, à ce moment de sa carrière, choisir de briser cette image qu’il a construite avec tant de constance ? Est-ce un hasard que cela survienne à une époque où Trump ressuscite le slogan "Make America Great Again", qu’on pourrait aussi entendre comme "Make America White Again" ?

Peut-être cela s’inscrit-il dans une stratégie de clôture de carrière, lui qui a annoncé son dernier rôle dans The Black Panthers,  incarnera-t-il également un "méchant" noir? Ce choix  serait intrigant, car ce film aussi explore une dynamique ambivalente autour de la méchanceté. du noir Dans Black Panther, Killmonger est "méchant" parce qu’il veut sauver les Noirs opprimés du monde entier, tandis que T’Challa, jugé "bon", l’est précisément pour l'inverse, il a choisi de protéger uniquement son propre peuple, isolant le Wakanda pour préserver sa prospérité.

Mais revenons à Gladiator 2. Ce film m’a fait penser à deux choses. La première, c’est Le Juif Süss (Jud Süß), un film de propagande nazie tourné en 1940 sous la supervision de Joseph Goebbels. Ce film, inspiré du roman de Lion Feuchtwanger, a eu un tel succès qu’il a été imposé aux membres de la SS. Si l’on met de côté sa dimension terriblement antisémite pour ne s’intéresser qu’au personnage central, on peut y trouver des similarités avec Macrinus, le rôle incarné par Denzel Washington. Macrinus est un personnage sombre, sans morale, et politiquement manipulateur. Il accède au pouvoir par la ruse, conseillant les deux empereurs heritiers de Rome  avec une froideur calculée pour atteindre ses objectifs. Il s’allie au mal – se met quasimment  "au lit avec le diable", comme le dit Denzel – prêt à tout exploiter, manipuler ou détruire pour contrôler l’Empire romain.

Il faut toutefois souligner une différence fondamentale. Si Macrinus trouve ses motivations dans son passé difficile, notamment son statut d’esclave noir, et dans une ambition personnelle dénuée d’état d’âme, le personnage du Juif Süss est quant à lui issu d’un film conçu comme un outil de propagande antisémite, visant à déshumaniser et diaboliser les Juifs. Cette distinction est essentielle pour comprendre le traitement et l’intention derrière ces personnages.

La deuxième chose à laquelle Gladiator 2 m’a fait penser, c’est la guerre de succession qui se profile dans mon pays, le Cameroun, alors que le pays vit les derniers moments d’un très long règne. Je n’ai pas pu m’empêcher de voir en Macrinus une version romancée de notre tout puissant Secrétaire Général de la Présidence actuelle. La reine dans le film ? Une évocation troublante de notre Première Dame. Maximus pourrait être le Président en fin de règne, Hanno son fils aîné, et les deux empereurs Geta et Caracalla figureraient les autres enfants du Président.

Reste à savoir si, comme dans Gladiator 2, cette lutte pour le pouvoir finira dans le chaos ou si elle prendra un tournant différent. L’avenir nous le dira.

EMILIA PEREZ: Francais Parce que Pas Francais

Emilia Perez est un paradoxe cinématographique : un film tellement français parce qu’il semble n’avoir rien de français. Pourtant, en grattant sous la surface, on découvre que ce projet singulier incarne, à sa manière, des traditions profondément ancrées dans le cinéma hexagonal.

D’abord, il y a les dialogues. Emilia Perez s’inscrit dans la lignée des grands films français où la parole est reine. On y retrouve l’écho du talent d’un Michel Audiard, maître des dialogues ciselés dans Les Tontons Flingueurs, transmis de père en fils jusqu’à Jacques Audiard, un cinéaste qui a su moderniser cet héritage. Les échanges dans Emilia Perez captivent, oscillant entre verve comique et profondeur dramatique, comme une ode à ce style si particulier du cinéma français où les mots deviennent des personnages à part entière.

Ensuite, le film joue sur les mélanges. Emilia Perez est à la fois un film de mafia, une comédie musicale et une histoire transgenre. Ce brassage des genres, à la fois narratif et thématique, rappelle le cinéma de Jacques Demy, notamment Les Parapluies de Cherbourg. Comme Demy, Emilia Perez ose mêler des éléments a priori contradictoires : l’action et le drame, le chant et la violence, l’intime et le spectaculaire. Ce croisement reflète aussi une autre tradition française : celle d’un cinéma qui refuse de se laisser enfermer dans des cases, qui joue avec les codes et les détourne pour mieux surprendre.

Ce qui étonne, c’est que le meilleur film français actuel filmé à la maniere de Scorsese se passe… au Mexique. Le décor, l’histoire et les personnages semblent à mille lieues de ce que l’on associe généralement au cinéma français. Et pourtant, Emilia Perez conserve un ancrage dans l’ADN cinématographique de la France : une attention portée aux dialogues, une réflexion sur l’identité, et une capacité à traiter de sujets graves avec une touche d’ironie.

Le récit est aussi audacieux que captivant. Manitas del Monte, chef de cartel mexicain en cavale, décide d’organiser le simulacre de sa propre mort. Son objectif : tourner la page sur son passé en changeant de vie, mais aussi de genre. Après une chirurgie de réattribution sexuelle, il devient Emilia Perez. Désormais femme, Emilia rejette son ancienne vie criminelle et fonde une association pour venir en aide aux victimes des cartels, cherchant à réparer les torts causés par ses actions en tant que Manitas. Il fallait oser le faire.

Emilia Perez est un film à la fois profondément non-francais et intimement lié à certaines traditions du cinéma français. Il rappelle que la “francité” n’est pas qu’une question de lieu ou de sujet, mais aussi une manière d’embrasser le monde : avec des dialogues soignés, un goût pour la cinephilie,  les mélanges et une audace formelle qui transcende les differentes frontières. C’est un film qui prouve que l’essence du cinéma français serait ailleurs.

JURE No2, Je te jure

 

Je suis allé voir JURÉ no2 le nouveau film de Clint Eastwood. En sortant, j’ai entendu une spectatrice demander : *"À quoi cela sert-il de faire des films comme ça ?"* Cette réflexion m’a ramené aux westerns auxquels Clint Eastwood a tant contribué, des récits qui explorent inlassablement les questions de moralité : le bien et le mal, la justice, la vérité. Pour cette génération de cinéastes, c’est ça, le cinéma.

L’histoire est celle d’un homme, Justin Kempf, responsable de la mort accidentelle d’une jeune fille, qui se retrouve membre d’un jury chargé de condamner le coupable présumé de ce même crime. Dès le début, le système américain des jurés, vu de l’extérieur, paraît étrange : des citoyens ordinaires décident du sort d’un accusé. Mais ce qui rend le récit fascinant, c’est l’ambiguïté morale de Kempf. Sait-il dès le départ qu’il est le véritable coupable ? Une scène, où il vomit après la première réunion des jurés, suggère qu’il le sait. Pourtant, plus tard dans le film, rien n’indique clairement le moment où il aurait "découvert" sa culpabilité. Ce flou est l’un des axes majeurs du film.

Le paradoxe du personnage principal réside dans son rôle au sein du jury : c’est lui, le coupable, qui empêche les autres jurés de condamner un innocent. Il insiste pour examiner davantage les preuves, pour approfondir les débats. Mais agit-il ainsi par culpabilité ou par une volonté sincère de rendre justice ? À ce stade, est-il prêt à se livrer comme l’assassin, même accidentel, de la victime ? Rien n’est moins sûr. Au contraire, il manipule les discussions et finit par agacer les autres jurés, notamment Marcus, qui lui reproche de faire tourner le jury en rond.

L’un des rebondissements majeurs du film, peut-être un peu artificiel, est l’éjection d’un juré clé : un ancien policier qui mène une enquête parallèle et commence à percer la vérité. Il est exclu du jury parce que cette pratique est formellement interdite. Cela renforce le sentiment d’une justice bancale, guidée davantage par des règles que par la quête de la vérité.

La fin, quant à elle, frappe par son cynisme : Kempf, malgré son rôle décisif dans la condamnation d’un innocent, choisit de ne pas se dénoncer. Son excuse ? La naissance récente de son enfant, qui semble lui offrir une justification morale personnelle. De son côté, la procureure, obsédée par sa carrière politique, se satisfait d’avoir obtenu un coupable, peu importe lequel. Ce dénouement laisse un goût amer, un écho aux dilemmes moraux des westerns où l’honneur, la vérité, et la justice sont souvent bafoués.

La question finale du film reste ouverte : si personne ne connaît la vérité, alors la vérité importe-t-elle vraiment ? Who cares ?